Messages : 983 Date d'inscription : 05/11/2021 Age : 69 Localisation : Bayac Dordogne
Sujet: La commumauté montalionaise cathare en exil. Lun 25 Mar - 13:43
C'est encore grâce à la déposition devant l'inquisiteur de notre célèbre berger cathare que l'on a sûrement aujourd'hui le plus d'informations sur cette tranche de vie du début du XIVe siècle. On y découvre en filigrane , et tout en pudeur, l'amitié qui lia Pèire Maury au Bon Homme Guilhem Bélibaste. Ces deux personnalités si contrastées , pourtant issues du même milieu socio-culturel ( bergers des montagnes) et partageant la même foi, nous renvoient deux images inattendues de l'idée que l'on aurait tendance à se faire du croyant et du chrétien cathares. Ma première impression fut qu'il y avait eu une erreur dans la répartition des rôles. On sait bien que le Bon Homme Guilhem Bélibaste ne vint pas au catharisme par pure conviction, qu'il n'eut pas la chance au temps des persécutions de pouvoir bénéficier d'un noviciat tel que le pratiquaient les docteurs cathares en temps de paix et qu'il fut probablement, en partie à cause de cela, un médiocre pasteur aux prêches empreints de naïveté populaire et d'un reliquat de paganisme. N'ayant pas durant la plus grande partie de son ministère, le soutien d'un compagnon (socius ) comme l'exige la doctrine, on imagine aisément les difficultés qu'il put rencontrer sur son chemin solitaire. On comprend ainsi ses écarts répétés à la Règle de justice et de vérité qui régissait sa vie de chrétien. On comprend enfin le bien fondé de l'instruction théologique cathare qui ne laissait rien au hasard dans la formation de ses pasteurs, exégètes redoutés des catholiques. Bélibaste sans cette terrible faute commise (le meurtre d'un autre berger) serait peut-être resté simple croyant sa vie durant, tout comme Pèire Maury. Décrit comme avare («menudier») par Raimond de Toulouse et Guillemette Maury, jaloux, voire exploiteur à l'égard de Pèire, et superstitieux comme on va le voir plus loin, le Bon Homme n'a certes pas l'allure d'un Pèire Autier. Malgré toutes ses erreurs, qui nous le font aimer tel un Paul, finalement le Bon Homme Bélibaste mena son ministère jusqu'au bout pour sa petite communauté de croyants et mourut dignement sans abjurer sa foi. Pèire Maury, le berger croyant cathare, archétype de l'homme libre, jouerait évidemment plu facilement le rôle du héros. Jamais crédule dans sa foi, il faisait preuve d'esprit critique, n'hésitait pas à discuter le bien fondé des rites et croyances cathares avec l'Ancien-même. Sa générosité de cœur et de bourse transparait régulièrement à l'égard du Bon Homme et de ses amis. Il assurait pour une grande part la cohésion et règlait les conflits du groupe en exil sans s'y fondre: il s'opposa au meurtre envisagé de Jeanne (fille de la croyante Marsende) dont le comportement hystérique risquait de compromettre la sécurité de la communauté des croyants, il agit de même pour son frère Jean (non-croyant) quand ce dernier fut à son tour perçu comme danger potentiel par le groupe. Dans cette diaspora de croyants fragilisée par l'exil, à l'équilibre fragile, Pèire Maury faisait figure d'autorité, implicitement reconnue par tous, représentant inconditionnel de la non violence dans un groupe qui s'interrogeait face à l'attitude indéfinie de son pasteur. Par contre, aucun des exilés ne se méfia d'Arnaud Baille (ou Arnaud Sicre, par son père) qui infiltra la petite communauté dans le seul but de livrer Bélibaste à l'inquisiteur en vue de se faire restituer les biens de sa mère confisqués pour hérésie. Le Bon Homme s'était engagé près d'Arnaud Baille pour "superviser" le mariage de deux croyants, à savoir celui de la sœur d'Arnaud avec Arnaud Maury, le cousin de Pèire. Or, Arnaud Baille avait monté ce stratagème pour pouvoir faire arrêter Bélibaste sur les terres relevant de la juridiction de Jacques Fournier . Le Bon Homme inquiet sur ce voyage mais ne voulant pas se dédire avait préalablement consulté un sorcier devin. La prédiction du devin s'étant relevée néfaste, Bélibaste s'en remit au conseil de son ami Pèire. Le berger se fit, afin de le protéger, le guide du chrétien. Sur le chemin du piège tendu par Arnaud Baille, aux alentours du printemps 1321, Bélibaste, Pèire Maury, son cousin Arnaud Maury et le traître Arnaur Baille, se dirigeaient vers le pays du Pallars (Catalogne). Là, se révèle tout le contraste entre les deux personnalités que l'on s'attendrait logiquement inversées: le croyant rationnel qui explique et tâche de rassurer, le chrétien peu assuré encore à l'écoute d'ataviques croyances païennes. Pèire raconte ainsi le dernier voyage libre du Bon Homme:
Citation :
Le lendemain, sortant d'Agramunt, nous allâmes déjeuner à la ville de Pons (Lérida), et en route, avant le déjeuner, une pie traversa trois fois le chemin devant nous, à la vue de l'hérétique (Bélibaste). Et chaque fois, elle jacassait en traversant le chemin. Ce que voyant, l'hérétique dit: «Saint-Esprit, aide-nous!» Et il s'assit sur une pierre, tout triste et anxieux. Je lui dis: «Pourquoi êtes-vous ainsi anxieux et bouleversé?» Il répondit que c'était à cause de cette pie, qui avait traversé notre route devant nous trois fois. Je lui répondis de ne pas se soucier des oiseaux et d'augures de ce genre, car se soucier de pareils sortilèges est l'affaire des vieilles femmes. Il me dit qu'il avait entendu dire à son père que c'était mauvais signe quand les oiseaux traversaient la route par laquelle on devait passer. Je le fis lever, et nous allâmes jusqu'à cette ville de Pons. Mais il dit souvent en chemin à Arnaud Baille: «Arnaud, Dieu veuille que vous nous meniez en bon lieu!» Arnaud répondit:« Ostatz, senher, si Dieu veut, ainsi ferai-je!»
Il est clair que ce dernier voyage fut lu par plusieurs de nos conteurs que vous connaissez probablement. Je ne saurais trop conseiller la lecture du registre de Jacque Fournier à tous ceux qui ne le connaissent pas encore. Dans ces pages, la parole est intacte.