Anne Brenon : les cathares

Il est un point qui doit être étudié en vue de son adaptation à notre siècle est celui de la Consolation au mourant et, pas extension, de la Convention (convenanza).

Comme cela est bien expliqué par Anne, l'Église cathare de l'époque n'accordait pas la même valeur à cette Consolation in extremis, qu'elle en accordait la Consolation suivant le noviciat.

Aujourd'hui, ce qui importe à mon avis, c'est d'apporter à un croyant mourant ou gravement malade, l'assistance spirituelle qu'il souhaite obtenir, car c'est le rôle du chrétien d'être auprès des croyants.
Par contre, il ne faut pas mettre la pression sur le fait que le croyant pourrait connaître une perte de chance s'il n'était pas en état de recevoir cette Consolation «au rabais» en quelque sorte.
Ce qui importe c'est que l'esprit-saint, prisonnier dans le corps du croyant, puisse recevoir cette assistance de l'Église afin d'être en mesure de mériter la grâce, porte d'accès au Salut.
Pour ce faire, le chrétien doit pouvoir échanger avec le croyant, si ce dernier est en mesure de la faire, afin de lui rappeler les bases de la Règle de justice et de vérité et de voir avec lui où il en est de son avancement.
Après cela, ou si le croyant n'est plus en mesure d'échanger, le chrétien doit s'adresser à la part spirituelle prête à quitter l'enveloppe charnelle. Pour cela il doit utiliser les prières chrétiennes disponibles en allant de l'état mondain (Père saint) à l'état spirituel (Pater) et il doit s'adresser à cet esprit-saint bientôt libéré, au cas où il serait «allégé» par la contrition réelle du croyant mourant. Cela peut se faire au moyen d'un monologue rappelant la chute, la non-culpabilité de Dieu et des esprits-saints, l'absence de libre arbitre et par conséquent la totale appartenance à l'Esprit unique auquel il va pouvoir revenir pour participer à l'apurement spirituel de cet enfer mondain.
Une fois cette assistance terminée ou au cas où le décès serait déclaré, le chrétien assiste si elle le demande la famille par des paroles de paix et répond si nécessaire aux questionnements, avant de partir.
Si les conditions n'ont pas permis au chrétien de se rendre au chevet du croyant, l'utilisation de technologies modernes est tout à fait possible.
Bien entendu, le chrétien n'acceptera aucune rétribution de quelque sorte qu'elle soit, la famille et le croyant étant libres d'effectuer des dons à l'Église par les moyens habituels.

Le chapitre 7 aborde une terminologie qui semble complexe aux yeux de l'auteure.
Ce qui complique sa réflexion est l'emploi régulier d'une formule dite trinitaire au regard de la doctrine catholique.
C'est là que j'insiste sur la problématique que pose l'endoctrinement judéo-chrétien que nous subissons tous depuis deux millénaires, y compris sur ceux qui se croient athées.
Heureusement, Anne ne se laisse pas envahir par cette apparente incohérence et revient aux sources du christianisme, seul point de contact entre les judéo et les pagano-chrétiens. Cette formule obéit simplement aux fonctions que les cathares, comme les premiers chrétiens, attribuaient au Père (non pas comme parent mais comme Principe), au Fils (non pas comme parent mais comme missionné par le Père) et au Saint-Esprit (non pas partie de Dieu mais missionné par le Fils).
On retrouve cela dans la hiérarchie des ordonnés : évêque, fils (majeur et mineur) et diacre (en charge du suivi des communautés évangéliques).
Si le terme esprit ou Esprit est si présent chez les cathares, c'est tout simplement parce qu'ils considèrent que l'émanation divine est une et unique, c'est l'Esprit. Quand une part de cet Esprit s'étend hors du groupe pour accomplir une mission (Christ, Paraclet, Marie, Jean, etc.), ou en raison de la grande perturbation (chûte des anges) il est désigné comme un esprit-saint, car venant du Père saint. Si nous parlons de l'empyrée malin, il est logique de différencier son maître, le Principe du Mal, que nous appelons Satan de ses serviteurs, comme le diable (satan) ou démiurge et d'autres entités encore que nous appelons esprits-malins.

Anne tente de trouver des explications rationnelles aux termes de corps, d'âme et d'esprit sipirutels et mondains, ainsi qu'au concept de mariage mystique. Si ses explications peuvent convenir, à la rigueur pour l'époque médiévale, il me semble qu'il simplifier cela aujourd'hui.
Dans l'empyrée céleste, Dieu laisse émaner de lui sa création à la façon d'un soleil laissant «émaner» ses rayons. Cette émanation constitue ce que l'on appelle l'Esprit. Il est uniforme et aucune partie de domine l'autre. Si différenciation il y a c'est par le biais des missions attribuées à cet Esprit qui l'amène à projeter une part vers nous afin de nous aider à trouver la voie du Salut.
Concernant l'empyrée malin le démiurge a créé les corps humains pour y enfermer la part issue de l'Esprit dérobée par lui afin d'assurer une apparence d'éternité à sa propre création. Mais le maintien de cette part spirituelle ne peut se faire qu'au moyen d'un élément plus évolué que le corps que l'on appelle l'âme humaine. Elle administre le corps et maintient l'esprit-saint prisonnier par le biais d'un ensemble d'«outils» que j'appelle la sensualité. En effet, ce sont nos cinq sens qui nous font aimer ce monde et créent les désirs qui oblitèrent nos aspirations spirituelles au profit d'aspirations mondaines.
Le baptême d'esprit que nous appelons Consolation, provoque une prise de conscience de notre part spirituelle quant à son origine et à son désir profond : revenir au Père. Ainsi notre part spirituelle se trouve éveillée bien qu'encore prisonnière de la matière maline et son aspiration devient dès lors strictement spirituelle : rejoindre la part de l'Esprit demeurée ferme. C'est cela le mariage spirituel.

Le chapitre 8 ramène Anne à son domaine de compétence : l'histoire locale.
On y retrouve les études des implications familiales dans les communautés cathares et des particularités de l'organisation ecclésiale, y compris avant la croisade.
Très intéressant.

Dans les diverses nominations de l'Esprit et de ses émanations, il m'importe d'ajouter à la "liste" évoquée par  Guilhem ci-dessus, les « bons esprits » tels qu'ils sont nommés dans le Père Saint:

Citation :

Père Saint, Dieu légitime des bons esprits …

Ils sont  cette part dérobée à  l'Esprit (que nous sommes tous censés abriter en nous), maintenue prisonnière par une apparente division  par le Mal, c'est notre "étincelle divine" qui ne demande qu'à grandir pour pouvoir s'échapper.

Certes, mais en accord avec la parole christique des évangiles, je réserve désormais le qualificatif «bon» à celui qui seul peut le porter : Dieu.
D'où mon emploi de «esprits-saints».

OK. Devrions-nous penser alors à changer le terme pour « Dieu légitime des esprits-saints ». Ce qui serait en parfait accord avec les paroles prononcées par les croyants au cours de l'Amélioration:

Citation :

… Afin qu'il fasse de nous des chrétiens …

à la place de la formule « bons chrétiens » autrefois utilisée ?

Cela peut s'envisager, mais risque de poser des problèmes à beaucoup de sympathisants qui connaissent les paroles telles qu'elles sont alors que les croyants sont eux parfaitement au courant des finesses doctrinales.

Le chapitre 9 traite des maisons cathares et Anne y déploit ses compétences d'historienne et de cherheuse pour nous offrir un grand nombre d'informations sur ce sujet, sous l'angle historique et sociétal.
Ensuite, Anne propose une traduction plus littérale d'un certain nombres de textes cathares, apocryphes, attestés et dépositions devant l'Inquisition.

Au total, ce livre sera sans doute d'un grand secours à ceux qui veulent mieux connaître le catharisme historique et social sans avoir à acquérir la somme de documents que Anne a étudié et publiés le plus souvent seule ou en association avec d'autres chercheurs et auteurs.

Sur le plan spirituel et théologique le bilan est plus mitigé. La société moderne croit s'être affranchie du dit judéo-chrétien, mais elle s'y réfère systématiquement, parfois sans en avoir conscience. Cela nuit à la cohérence et à la qualité du travail.

J'aimerais bien avoir vos avis maintenant.

Merci pour cette analyse détaillée.

Merci beaucoup, Guilhem, de ce compte-rendu de lecture précis et très utile. Je ne pourrai te donner mon avis, car, après avoir lu ton instructif commentaire, je n'achèterai pas ce livre, qui est, ce me semble, une synthèse actualisée des autres livres qu'elle a déjà publiés et dont j'ai déjà acquis ceux qui m'intéressaient. Bonne fin de 2022 à toutes et tous!

Certes, quand on a Écritures cathares dans une version post 1996, Jean Duvernoy (La religion des cathares) et peut-être René Nelli (La philosophie cathare), on est déjà bien nanti.