Messages : 1564 Date d'inscription : 04/11/2021 Age : 66 Localisation : Carcassonne (Aude)
Sujet: Les frères Karamazov Ven 20 Mai - 20:09
Il y a quelques temps Chantal nous parlait de ce livre qui contient un chapitre éloquent : Le grand inquisiteur. N'ayant pas retrouvé ce message je crée ce fil afin que la discussion ne se perde pas. Ce chapitre contient plein d'éléments d'analyse sur la foi, la liberté, le libre arbitre et la domination. À lire absolument.
José aime ce message
Guilhem Admin
Messages : 1564 Date d'inscription : 04/11/2021 Age : 66 Localisation : Carcassonne (Aude)
Sujet: Re: Les frères Karamazov Ven 20 Mai - 20:15
Si vous n'avez pas livre, voici ce chapitre en édition PDF : [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien]
Guilhem Admin
Messages : 1564 Date d'inscription : 04/11/2021 Age : 66 Localisation : Carcassonne (Aude)
Sujet: Re: Les frères Karamazov Ven 20 Mai - 20:17
Goutez le sel de ce passage : «Mais Tu n’as pas le droit d’ajouter quoi que ce soit à ce qui a été dit déjà par Toi auparavant. Pourquoi donc es-Tu venu nous déranger? Car Tu es venu nous déranger, et Tu ne l’ignores pas. Mais sais-Tu ce qui arrivera demain ? Je ne sais qui Tu es et ne veux pas savoir si Tu es Lui ou seulement son image, mais, quoi qu’il en soit, demain je Te condamnerai et Te ferai périr dans les flammes, comme le plus pervers des hérétiques». Cela ne vous rappelle rien ?
Chantal
Messages : 944 Date d'inscription : 05/11/2021 Age : 69 Localisation : Bayac Dordogne
Sujet: Re: Les frères Karamazov Sam 21 Mai - 14:45
Ce chapitre du" Grand Inquisiteur" est en effet une perle pour le cogito.Derrière le grand inquisiteur , que fait parler Yvan Karamazov, se cachent l'Eglise catholique romaine ainsi qu' un de ces puissants ordres: les jésuites. Ce nonagénaire tout puissant brûleur d'hérétiques est habité, comme vous pourrez le constater en lisant Dostoïevski, par de nombreux démons. Quant au prisonnier , à qui le vieillard, ou le grand inquisiteur s'adresse, vous le reconnaitrez sans peine. Ce chapitre est particulièrement intéressant car L'auteur nous démontre comment la religion catholique a détourné les réponses de Christ aux "tentations du désert" pour établir sa puissance sur les humains. Finalement, pour le "vieillard" ou grand inquisiteur , si le monde est tel aujourd'hui, la faute en revient uniquement aux mauvaises réponses faites alors par Jésus aux trois tentations. Luc (4.3-4)
Citation :
Alors le diable lui dit: " Si tu es le fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain". Jésus lui répondit: "Il est écrit: Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra.
Le grand inquisiteur: ]"Donner à manger, nous seuls en serons capables, et en Ton nom, et en mentant que ce sera en Ton nom. Jamais, non, jamais ils ne pourront manger sans nous! Aucune science ne leur donnera le pain tant qu'ils resteront libres, mais, pour finir, leur liberté, ils nous la livreront d'eux-mêmes. . . .Et Tu as rejeté la seule bannière absolue qui T'était proposée pour obliger chacun à se prosterner devant Toi d'une manière indiscutable - la bannière du pain de la terre, et Tu l'as rejetée au nom de la liberté, du pain des Cieux.. . Il n'existe que trois forces sur terre qui sont capables de vaincre et de s'emparer pour toujours de ces rebelles débiles (les humains), pour leur bonheur - ces forces, ce sont le miracle, le mystère et l'autorité. Tu as rejeté l'un, l'autre et la troisième. Tu as donné Toi-même l'exemple du rejet." Luc (4.5-6-7)
Citation :
Le diable le conduisit plus haut, lui fit voir en un instant tous les royaumes de la terre, et lui dit: "Je te donnerai tout ce pouvoir avec la gloire de ces royaumes, parce que c'est à moi qu'il a été remis et que je le donne à qui je veux. Toi donc, si tu m'adores, tu l'auras tout entier.
Le grand inquisiteur: " Voilà exactement huit siècles que nous avons pris de lui ce que Toi, Tu avais rejeté avec indignation, ce don qu'il T'avait proposé en Te montrant tous les royaumes terrestres: il nous a donné Rome, et le glaive de César et nous nous sommes déclarés seulement rois de la terre, maitres uniques. . . Car qui régnerait sur les hommes, sinon ceux qui règnent sur leur conscience, et ceux de qui dépend leur pain? Nous donc, nous avons pris le glaive des Césars, et l'ayant pris, bien sûr, nous T'avons rejeté. . ." Luc (4. 9612)
Citation :
Le diable le conduisit alors à Jérusalem: il le plaça sur le faîte du temple: "Si tu es le fils de Dieu, jette-toi d'ici en bas; car il est écrit: Il donnera pour toi ordre à ses anges de te garder, et encore: ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied quelque pierre. Jésus lui répondit: "Il est écrit: Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu".
Le grand inquisiteur: "Oh, Tu as bien compris alors que si Tu ne faisais qu'un seul pas, rien qu'un seul mouvement pour Te jeter en -bas, Tu aurais par là même tenté le Créateur et Tu aurais perdu toute Ta foi, et Te serais fracassé sur cette terre que Tu étais venu sauver, et cet esprit très sage (sic!) qui T'induisit en tentation aurait pu se réjouir. Mais, je le répète, sont-ils nombreux, ceux qui sont comme Toi?. . . La nature humaine a-t-elle été créée ainsi, pour rejeter le miracle et, aux moments les plus terribles de la vie, aux moments des questions spirituelles, les plus fondamentales, les plus terribles et les plus douloureuses, être capable de se contenter du libre arbitre de son coeur?. . Nous avons corrigé Ton oeuvre et nous l'avons fondée sur le miracle, le mystère et sur l'autorité. Et les hommes se sont sentis heureux d'être à nouveau menés comme un troupeau, et d'avoir pu enfin libérer leur coeur d'un don si terrifiant, qui leur avait apporté tant de douleur." C'est ce constat qui est terrifiant; mais où est l'humain dans tout ça? Et pour finir, comme dans "le meilleur des mondes", le grand inquisiteur conclue: " Alors nous leur donnerons un bonheur calme et humble, le bonheur des créatures sans force, telles qu'elles ont été créées. . .Nous les émerveillerons et nous les effraierons. . . Ils frissonneront sans défense devant notre colère, leur esprit sera pris de terreur. . . Mais ils passeront tout aussi facilement, au premier signe que nous ferons, au rire et à la joie, à la gaité radieuse, aux chansonnettes heureuses de l'enfance." Yahvé est de retour! Ce long monologue du grand inquisiteur se termine ainsi, probablement soufflé par Satan lui-même: " Ils mourront doucement, ils s'éteindront doucement au nom de Toi et , dans la tombe, ils ne trouveront que la mort. Mais nous garderons le secret et, pour leur propre bonheur (sic!) nous leur ferons miroiter une récompense céleste, éternelle. Car même si quelque chose existe dans l'autre monde , ce n'est, bien sûr, pas pour des gens comme eux." Après ce long monologue, l'inquisiteur attend une réponse de son prisonnier , réponse qui suscite forcement un écho à notre conscience cathare:
Citation :
Mais Lui (le prisonnier), d'un seul coup, Il s'approche du vieillard, et, sans rien dire, Il embrasse ses lèvres blanches nonagénaires. Voilà toute la réponse. Le vieillard tressaille. Quelque chose a bougé aux commissures de ses lèvres; il se dirige vers la porte, il ouvre et dit: " Va-T'en. . . et ne reviens jamais plus. . . ne reviens plus du tout. . . jamais, jamais! "Et il Le laisse aller vers "les places obscures de la cité". Le prisonnier s'en va.
La seule réponse possible était bien le baiser de paix, car nous le savons bien, le Bien n'a que le Bien à opposer au Mal.
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Chantal
Messages : 944 Date d'inscription : 05/11/2021 Age : 69 Localisation : Bayac Dordogne
Sujet: Re: Les frères Karamazov Ven 17 Juin - 17:52
Si le personnage du Gand Inquisiteur ne laissait planer aucun doute quant à sa nature, celui du diable qui hante le cerveau malade d'Yvan Karamazov me parait, lui, tout à fait singulier. Il se présente tout d'abord comme un gentil diable: _ "Moi, de nature, j'ai le coeur bon et gai(. ..) Par une espèce de prédestination atemporelle à laquelle je n'ai jamais rien compris, on m'a fixé de "nier", alors que je suis sincèrement gentil et que je ne suis pas du tout capable de nier." Définissant ensuite sa mission sur terre, il déclare: _"Et donc, je travaille, content ou pas, à ce qu'il y ait des évènements, et je crée de l'irraisonnable sur ordre. Les gens prennent cette comédie pour quelque chose de sérieux (. . .)Là est leur tragédie. Bon , et ils souffrent, bien sûr, mais. . . mais, malgré tout, ils vivent, ils vivent réellement, pas dans le fantastique; parce que c'est la souffrance qui est vie (. . .) Bon, et moi? Moi, je souffre, et, malgré ça, je ne vis pas. Je suis un x dans une équation à plusieurs inconnues. Je suis une espèce de fantôme de vie qui a perdu tous les débuts et toutes les fins (. . .)" Cette image parlante nous montre bien le Mal dénué de l'Être, le non-être issu du Néant. Mais ce qui est étrange, c'est que notre "pauvre diable" n'envie nullement la puissance divine, et se déferait bien de tous ses privilèges pour connaître la vie humaine. Il déclare en effet: _" Je donnerais toute cette vie de l'éther, tous les rangs et les honneurs juste pour m'incarner dans une marchande de cent-vingt kilos et mettre des cierges au bon Dieu." Mais le plus sibyllin est bien son discours lorsqu'il tente de démontrer son existence à Yvan qui, lui, pense que c'est seulement son cerveau malade qui fabrique une hallucination. Yvan:" _ Tu mens! Le but de ton apparition est de m'assurer que tu existes. Le diable: _ Justement. Mais les hésitations, mais l'inquiétude, mais la lutte de la foi et de l'incroyance - ça, parfois, n'est-ce pas, c'est une telle torture pour un homme doué d'une conscience, comme toi, tiens, qu'il vaut mieux se pendre." Si le diable, dans cette dernière réplique, semble bien jouer son rôle (faire souffrir sa victime), son langage va de nouveau devenir totalement énigmatique: _" Quand tu auras complètement cessé de croire en moi, tu te mettras tout de suite à m'assurer en face que je ne suis pas un rêve, mais que j'existe en vérité, ça, je te connais; et, là, j'aurai atteint mon but. Or , mon but, il est noble. Moi, je jetterai en toi juste une toute petite graine de foi, et cette graine elle donnera un chêne - et quel chêne encore, que toi, sur ce chêne -là, tu seras capable de vouloir entrer chez "les pères du désert et les femmes sans tache "(1); parce que, au fond, de ça, tu as une envie forte, mais forte, tu vas manger des sauterelles, tu vas te traîner faire ton salut dans le désert! Yvan:"_ Alors,, c'est le salut de mon âme qui t'inquiète, espèce de canaille? Le diable: _ "Il faut bien faire une bonne action, une fois dans sa vie . . .". Déconcertant, ce diable, n'est-ce pas? Comment faut-il le comprendre? Dostoïevski voulait-il juste surprendre ses lecteurs , ou était-il lui-même dans une grande crise de doute ?
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Sujet: Re: Les frères Karamazov
Les frères Karamazov
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